Jérôme Pernoo, quelle est votre conception personnelle du métier d'artiste ?

Il ne s'agit justement pas d'un métier. C'est une vie, un regard permanent sur le monde, la beauté, la laideur qui nous entourent. Un musicien est un artiste à chaque minute de sa vie. Il ne peut sortir à loisir de sa peau d'artiste toutes les 35 heures ! En revanche, s'il ne s'agit pas d'un métier, l'artiste joue un rôle primordial dans notre société. Né de la civilisation, l'art offre à l'Homme un bol d'oxygène, une représentation sublimée de la Nature dont il s'éloigne. Nous avons tous cette responsabilité lorsque nous sommes devant un public. 

Est-ce que vos activités actuelles correspondent au projet de carrière que vos études vous donnaient à espérer ? 

Assurément, mais la vie vous emmène toujours là où on ne s'y attend pas. Je ne pensais pas que j'aurai tant à réfléchir sur le sens de mes activités. Je tenais le parcours concours-agents-concerts pour difficile mais tout tracé ! Puis, avec un peu de curiosité, on découvre bon nombre de savoureux chemins de traverse qui n'apparaissent pas dès le départ.

Quel bilan faites-vous de votre formation à la lumière de ces premières années professionnelles ?

Cette formation m'a apporté la rigueur nécessaire dans mon travail à l'instrument et m'a éclairé sur le fait que tout est « jouable » à condition d'y consacrer le temps qu'il faut. Je n'hésite pas au passage, à exprimer ma plus grande reconnaissance à Philippe Muller. D'autre part, comme dans toute école supérieure en France ou à l'étranger, le Conservatoire nous immerge totalement dans ce que sera notre vie future. Nous avons la sensation de jouer le premier acte de notre vie de musicien.

Quelles sont les compétences que vous auriez aimé acquérir pendant vos études ? 

A mon époque, il était très compliqué d'accéder aux disciplines que l'on dénomme aujourd'hui « options ». J'avais, par exemple, tenté d'assister à des cours de danse baroque et m'étais confronté à un parcours du combattant qui s'était finalement avéré inefficace…

Aussi, la pratique d'un instrument à clavier devrait être un passage obligé pour tout instrumentiste « monodique ». Et je m'étonne que les CNSM ne considèrent pas l'étude de l'harmonie comme indispensable à la formation de l'interprète. Il n'existe pas d'interprétation sans compréhension, et il n'y a pas de compréhension d'un texte musical sans la connaissance du langage harmonique. Dans ce domaine, notre nullité est affligeante !

Comment les avez-vous complétées ?

Grâce à la SNCF. Bien plus silencieux que l'avion, le TGV et l'Eurostar sont devenus mes lieux favoris de séminaires pour travailler l'harmonie et le contexte historiques des pièces que je dois jouer. Pour la danse baroque, c'est un autre problème : même la voiture-bar n'est pas parfaitement adéquate. 

Quels événements, quelles rencontres vous ont particulièrement marqué pendant votre formation ? En quoi ont-ils influé sur vos orientations professionnelles ?

Curieusement, ce ne sont pas ces One Man Shows dits « Masterclasses » qui m'ont le plus marqué, même si j'en étais friand sur le moment. C'est toutefois utile et impressionnant de rencontrer des personnalités du monde musical. Mais, s'agit-il vraiment de rencontres ?

Les échanges  les plus riches sont assurément nés avec les musiciens de ma génération, devenus mes plus proches partageurs d'idées, amis et collaborateurs : Jérôme Ducros, Jérémie Rhorer, Nora Gubisch, et quelques autres.

Quel conseil aimeriez-vous adresser aux étudiants actuels ?

Mettons au panier cette idée (très occidentale) que l'on a fini d'apprendre un jour. Un artiste ne cesse jamais de rechercher, d'approfondir, d'explorer toutes les voies qui peuvent aider à s'exprimer dans ce langage mystérieusement intérieur, quel que soit son « métier ».

Un autre conseil : faisons preuve d'ingéniosité, trouvons de nouvelles formes de partage de la musique, pour qu'elle ne perde pas son sens profond. Si nous ne voulons pas qu'elle devienne une vitrine mondialiste chic de Universal, nous devons faire de la résistance !

Le Journal du Conservatoire (Juin 2005)